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Covid-19 : La crise sanitaire comme accélérateur des tensions intergénérationnelles ?


Par Mickaël Berrebi, Responsable du S2H INSTITUTE


L’apparition du virus Covid 19 marque le début d’une ère à partir de laquelle il faudra réapprendre à vivre avec le risque sanitaire. Un risque oublié, qui semblait même disparu de notre paradigme, grâce à la maîtrise médicale et technologique de l’Homme. Mais en attendant la mise au point de ce nouvel apprentissage de vie, c’est à une mise à l’arrêt mondiale à laquelle nous assistons depuis le mois de février 2020, un peu incrédules. En l’espace de quelques semaines, cette stratégie de mise en sommeil était déjà la réponse de plus d’une centaine de pays, et concernait plus de 4,5 milliards d’habitants sur la planète. Si le caractère inédit du phénomène du confinement, surtout par sa dimension mondiale et quasi-simultanée, rend toutes les estimations sur ses conséquences assez hasardeuses, nous avons toutes les raisons de penser que ce tournant historique impactera durablement les relations qu’ont les générations entre elles.

Une crise économique mondiale sans précédent

Sur le terrain économique, c’est cette mise en sommeil forcée et volontaire qui a constitué le premier choc : le fameux choc d’offre. De façon mécanique et instantanée, le confinement a provoqué une chute de la production avec, soit la baisse drastique des effectifs, soit la fermeture de l’entreprise. L’autre conséquence de ce choc d’offre, c’est l’apparition d’un second choc, le choc de demande. La baisse brutale de la consommation se manifeste alors pour des raisons diverses. Il peut s’agir d’une perte de revenu, ou l’anticipation d’une baisse de revenu ; une modification brusque du comportement des consommateurs, préférant reporter, voire annuler, des projets d’achat finalement jugés moins urgents ; ou encore, tout simplement, l’impossibilité, pour ceux qui le souhaitent, de consommer en raison de la fermeture des commerces. A son tour, cette baisse de la demande entretient un ralentissement de l’offre… Et l’économie bascule alors en récession. Les premières estimations sur les impacts économiques de la crise sanitaire sont catastrophiques. Au fur et à mesure, les projections des institutions sont revues à la baisse. Mais surtout, ces estimations annoncent une récession d’une vitesse et d’une amplitude rarement observées : en zone euro, la contraction anticipée est de 7,5% [1], et pourrait atteindre 12% en 2020 [2] ; pour les Etats-Unis, la contraction devrait se situer aux alentours de 5,9% [3] ; et plus globalement, la croissance devrait baisser de 3% au niveau mondial, soit une baisse cinq fois plus forte que celle observée lors de la crise de 2008 [4].

Mais contrairement à 2008, les réponses ne se sont, cette fois-ci, pas faites attendre. Les Banques centrales – pour assurer les liquidités, et les gouvernements – pour soutenir les entreprises et les ménages, ont d’ailleurs réagi de façon inédite et exceptionnelle face à l’urgence. Toutefois, malgré toutes les meilleures volontés pour contenir la crise, l’horizon

économique s’obscurcit, avec le spectre du chômage de masse. En France, la prise en charge du chômage partiel par l’Etat – 12 millions de salariés concernés en Mai 2020 - permet de traverser la crise sanitaire en neutralisant les difficultés financières des ménages. Mais cela ne sera pas suffisant pour éclipser la question de l’emploi, et cela revient, en réalité, à décaler le sujet de quelques mois. D’ailleurs, un regard outre-Atlantique, qui repose certes sur un marché de l’emploi ultra-flexible, donne un aperçu de la violence qui s’abat sur le marché de l’emploi. En l’espace de quelques semaines, le pays a enregistré plus de 30 millions de nouveaux inscrits au chômage, sans compter bien sûr toutes les personnes qui ne se sont pas déclarées. Rappelons qu’au début de l’année 2020, on ne comptait que 6 millions de chômeurs sur tout le territoire américain, avec un taux de chômage exceptionnellement bas, à 3,5%.


Comme toujours lors d’une crise, il y a une poignée de gagnants, et des perdants, largement majoritaires. Les secteurs d’activité qui résistent le mieux sont ceux qui peuvent poursuivre leur activité sans avoir besoin d’un contact physique, et cela tout au long de la chaîne de valeurs. Il s’agit par exemple du secteur technologique ou numérique, ou celui des jeux vidéo. Parmi les secteurs résilients, il y a aussi ceux jugés indispensables, comme la santé et l’alimentation. A l’inverse, tous les autres secteurs nécessitant un contact physique, que ce soit dans la production ou la distribution du bien ou service, sont à l’arrêt : tourisme, restauration, culture, divertissement… Et entraînent avec eux la mise à l’arrêt des fournisseurs et autres activités dépendantes, comme l’aéronautique vis-à-vis du tourisme par exemple. On observe aussi une situation délicate pour les biens durables - l’automobile ou les biens d’équipements par exemple – car ils nécessitent une certaine somme d’argent, voire un endettement, pour un consommateur désormais soucieux de son avenir financier. Nous assistons finalement à une transformation sectorielle de l’économie, avec des entreprises qui sortiront de la crise très affaiblies et moins productives. Beaucoup d’entre elles devront gérer un endettement plus lourd et une chute du chiffre d’affaires, alors qu’il y a tout lieu de craindre une inflation par les coûts pour assurer les nouvelles normes sanitaires à respecter.


La guerre intergénérationnelle, un vieux débat formulé en cinq points


Jusqu’à présent, on pouvait résumer le débat intergénérationnel autour de cinq points de friction : l’engagement environnemental ; la situation patrimoniale et le seuil de pauvreté ; le parcours de vie professionnelle ; la soutenabilité de notre système de protection sociale, notamment la retraite ; et enfin, la transformation de notre société en une société du vieillissement plus averse au risque. Le dernier coup d’éclat intergénérationnel a d’ailleurs été le mouvement « #OKBoomer » fin 2019, un mouvement initié par les plus jeunes pour tourner en ridicule des points de vue attribués à la génération des baby-boomers, lassés de ne pas être pris au sérieux par leurs aînés [5].


Parmi ces points de vue, il y a d’abord l’environnement. Le combat contre le réchauffement climatique a gravi un nouvel échelon avec l’apparition de la jeune Suédoise Greta Thunberg

en 2018. Lorsque l’adolescente de 15 ans apparaît en public, c’est en rappelant son âge qu’elle s’introduit en séance, pour ensuite blâmer le monde adulte – « Comment oses-tu ? » – et lui reprocher de négliger toute une génération, la sienne, ainsi que les générations à venir, dans le choix des politiques menées. Le deuxième sujet de tension se situe sur le terrain patrimonial, largement détenu - et assez logiquement d’ailleurs ! - par les plus âgés. Si on prend l’exemple de la France, le patrimoine net [6] moyen des 60-69 ans se situe à 315 200€, lorsque celui des moins de 30 ans est à 38 500€ [7], soit un niveau huit fois plus faible. Le patrimoine des 30-39 ans s’élève quant à lui à 129 200€ en moyenne. L’accès au logement pour les jeunes est également une source de tension. L’exemple des jeunes Franciliens indique que les 18-34 ans quittent de plus en plus tardivement le domicile de leurs parents, et qu’ils sont de moins en moins nombreux à accéder au logement en raison de la hausse des prix des loyers et de l’inflation immobilière [8]. Enfin, le seuil de pauvreté concerne essentiellement les plus jeunes. Il touche 20,1% des moins de 30 ans, lorsqu’il se situe à 7,5% chez les 65-74 ans, le seuil de 14,1% [9] étant la moyenne nationale. On retiendra surtout que le niveau de vie des retraités en France est légèrement supérieur à celui de l’ensemble de la population [10].


On en vient alors au troisième point de friction : le sentiment de déclassement de la nouvelle génération par rapport à celle de ses parents ou grands-parents. Le débat autour du déclassement est déjà très présent lorsqu’il s’agit de comparer les classes moyennes d’aujourd’hui par rapport à celles des générations antérieures. Selon une étude, si seulement moins de 2% des ménages ont vu leur revenu diminuer ou stagner sur la décennie 1993-2005, ils étaient entre 65 et 70% concernés par ce phénomène entre 2005 et 2014 [11]. Il est vrai que la situation économique de ces vingt dernières années, et notamment depuis la crise financière de 2008, a rendu l’insertion des jeunes dans le monde du travail, qu’ils soient diplômés ou non, bien plus difficile. Cette conjoncture dégradée a accentué deux phénomènes pour les jeunes entrants par rapport aux générations précédentes [12] : une trajectoire moins ascendante pour les plus diplômés, des parcours plus heurtés pour les moins qualifiés. En France, le taux de chômage des jeunes se situe ainsi à 19,6% lorsqu’il s’élève à 7,8% et 6,3% pour les tranches 25-49 ans et 50 ans et plus [13]. Une trajectoire professionnelle loin d’être linéaire, qui incite à toujours plus de qualification et d’agilité, alors qu’on observe, dans le même temps, une explosion du travail non qualifié et faiblement rémunéré. Tout cela laisse entrevoir le quatrième point de discorde : comment assurer le financement de la hausse des coûts à prévoir liée au vieillissement de la population ?


Une société vieillissante suppose une hausse des coûts liés à la santé et à la dépendance bien sûr, mais aussi le souci d’assurer la pérennité d’un système de retraite reposant sur la démographie. Pour rappel, le système par répartition français consiste à ce que les actifs d’aujourd’hui financent les retraités d’aujourd’hui, et qu’à leur tour, les actifs de demain puissent financer la pension des actifs d’aujourd’hui. Si l’on comptait 4,4 actifs pour un retraité dans les années 1970 [14], le ratio cotisants-retraité a chuté depuis, et aujourd’hui, nous ne comptons plus que 1,7 cotisant pour un retraité. Un taux faible donc, mais qui devrait encore baisser pour converger vers 1,5 à horizon 2040 [15]. Ce constat démographique supposerait, pour maintenir un certain équilibre financier, trois options possibles : augmenter le niveau des cotisations auprès des actifs, baisser le niveau des pensions des retraités, ou bien décaler l’âge de départ à la retraite. Un chantier explosif, à manipuler avec précaution par les politiques concernés.


Enfin, le cinquième et dernier élément concerne les effets que suppose une société du vieillissement. En particulier, une société vieillissante suggère aussi une évolution du comportement général des agents économiques, en particulier en ce qui concerne l’appréhension vis-à-vis du risque. Avec un horizon d’investissement plus court, l’investisseur rationnel devient plus averse au risque, et donc moins enclin à mobiliser de l’épargne risquée sur du très long-terme. Certes, avec son patrimoine déjà constitué et sa meilleure connaissance financière, l’investisseur senior pourrait être encouragé à prendre des risques. Mais en cas de fortes incertitudes, l’investisseur rationnel aura plutôt tendance à sécuriser son patrimoine vers des actifs jugés plus sûrs. L’investisseur renforcera sa préférence pour le fonds euro à capital garanti et l’investissement immobilier, au détriment des investissements de long-terme risqués auprès d’entreprises, ou non-liquides. Cette tendance de fond sur le comportement des investisseurs pourrait paraître anecdotique. Pourtant, ce sont bien l’innovation et la prise de risque qui sont les moteurs de l’accroissement de la productivité globale des facteurs sur le long-terme, et donc, les moteurs de la croissance économique.


Le confinement, une stratégie à la faveur du présent

En répliquant le modèle initié par les Chinois, la stratégie du « Grand confinement [16] » a finalement été la réponse quasi-unanime de la majorité des pays du monde. Cette solution, qui paraissait si extravagante au début de l’épidémie s’est vite révélée comme étant a priori la seule alternative possible pour les Etats pour faire face à la propagation rapide et dangereuse du virus inconnu. Certains ont tenté d’autres pistes, notamment la stratégie de l’immunité collective, mais l’accélération des contaminations et des décès les a finalement conduits à suivre discrètement le mouvement déjà initié du confinement. Avec le confinement, l’objectif est clair : imposer une distanciation physique, quitte à empiéter sur quelques-unes de nos libertés les plus fondamentales, afin de ralentir la propagation du virus et donner les moyens aux hôpitaux de gérer le flux de nouveaux patients. Mais à travers cette équation si délicate, une inconnue persiste : jusqu’à quand imposer cette mise en sommeil à la population ? Car si chaque jour supplémentaire de confinement permet de ralentir effectivement la propagation du virus, le « Grand confinement » nous conduit aussi, on l’a vu, à une marche forcée et inexorable vers le précipice d’une sévère crise économique mondiale, et avec elle, son lot de risques sociaux, politiques et géopolitiques. Mais pour l’heure, le choix est celui de faire passer le présent en priorité, préserver toute la population, « quoi qu’il en coûte [17] », porter assistance et secourir autant que possible, car « la santé n’a pas de prix ». Une situation inédite dans l’histoire, où la valeur de la vie passe désormais avant l’économie.


Certains experts voient dans la Covid-19 une sorte de nouvelle forme de la grippe de 1918, abusivement appelée grippe espagnole. Les similitudes sont effectivement nombreuses : une très forte contagiosité conduisant à une pandémie mondiale, un virus virulent et fortement mortel [18] se traduisant par des syndromes respiratoires aigus, une réponse des autorités qui finit par aboutir à la sensibilisation sur les gestes barrières (lavage de main, port du masque, etc.), et à la mise en place de mesures de confinement [19]. Mais une différence demeure, et elle est fondamentale : elle réside dans l’âge des personnes décédées. Si les victimes du Covid-19 sont majoritairement des personnes âgées d’au moins 60 ans, ce n’était absolument pas le cas de la grippe espagnole, particulièrement mortelle pour les personnes âgées entre 20 et 40 ans, avec une létalité (proportion de décès parmi les malades) ayant la même distribution par groupe d’âge [20]. Une fois la crise sanitaire maîtrisée, lorsqu’il s’agira d’affiner les politiques budgétaires, c’est précisément cette différence d’ordre générationnelle qui pourrait faire émerger des débats infinis sur la stratégie – bonne ou mauvaise ? – du confinement et de son intensité. Si c’était toute la population qui avait été concernée, comme dans le cas de la grippe espagnole, la question aurait pu paraître plus simple à aborder. Mais dans le cas du Covid-19, il y a lieu de croire qu’il y aura débat : fallait-il choisir de privilégier le présent, protéger les personnes âgées, plus à risques, au prix d’un confinement généralisé et d’une crise économique aux conséquences incertaines et certainement durables pour les 15 prochaines années ? Ou bien fallait-il faire le choix de préserver le futur ? Qu’importe ! Car ce qui nous intéresse ici, dans ce dilemme digne du « dilemme du tramway [21] », c’est qu’il oppose bien les générations entre elles, quel que soit le choix de la stratégie de gestion de crise.


Pour autant, l’urgence du présent ne doit pas effacer les risques probables pour le futur. Car une récession économique affecte les populations, intensément, dans la durée, et apparaît comme la source de plusieurs foyers de tensions indirectes. S’il ne fallait se concentrer que sur les impacts liés à l’emploi et à la santé, et faire ainsi abstraction des risques d’ordre sociaux, politiques ou géopolitiques, on pourrait par exemple citer les travaux de Jesse Rothstein, de l’université de Berkeley. Les travaux de l’économiste révèlent que des personnes qui arrivent sur le marché de l’emploi en période de récession auront des taux d’emploi et de revenu qui resteront bas, même bien après la fin de la récession. Par ailleurs, une période de chômage longue peut aussi augmenter le sentiment de découragement, augmenter les risques de dépression ou d’autres formes de traumatisme psychologique. La Grande récession des années 1930, par exemple, avait fait doubler le taux de suicide par rapport au taux observé en 1920. La crise économique de 2008, quant à elle, serait responsable de 260 000 morts supplémentaires par cancer dans les pays de l’OCDE [22].


Toutes ces inquiétudes d’ordre initialement économique auront tendance à exacerber les cinq points de tensions intergénérationnelles évoquées plus haut. Sur la question environnementale, les plans de sauvetage chiffrés à plusieurs milliards afin de préserver les fleurons de l’industrie automobile ou aéronautique apparaîtront en totale incohérence par rapport aux discours sur la lutte contre le réchauffement climatique. De plus, les efforts à mener pour accélérer la transition énergétique pourraient ne plus devenir la priorité pour une majorité d’entreprises. Certaines seront d’abord préoccupées par leur propre survie, d’autres par leur niveau de productivité ou le poids de leur endettement. Concernant les inégalités, inutile de rappeler que la phase de récession aboutira à une hausse du chômage, et donc à une accentuation de la précarité. Le marché du travail sera particulièrement sinistré dans certains secteurs, et ralentira l’entrée des jeunes diplômés sur le marché du travail. L’évolution sectorielle de l’économie nécessitera aussi une phase de requalification qui prendra du temps, en risquant de maintenir un taux de chômage élevé plus longtemps. Les questions autour du poids de la dette risquent également de concentrer toute l’attention. Si un Etat s’autorise à s’endetter largement, la contrepartie de cela repose sur la confiance qu’il parvient à susciter auprès de ses créanciers, confiance reposant principalement sur son taux de croissance. A défaut de croissance, impossible de savoir quelle est la bonne issue pour préserver cette confiance : une hausse des impôts pèserait encore plus sur le pouvoir d’achat des ménages, une politique d’austérité pourrait amplifier les effets de la crise… Impossible également d’imaginer pouvoir dégonfler le poids de la dette par une restructuration, cela serait bien trop risqué vis-à-vis des créanciers privés et étrangers, et affecterait là encore dangereusement le lien de confiance. Quant à une poussée soudaine de l’inflation, même si elle ne se décrète pas vraiment, elle finirait également par léser les ménages. D’ailleurs, si ce n’est pour l’instant pas un sujet de préoccupation, la réapparition de l’inflation comme résultante, à court-terme, d’une inflation par les coûts sanitaires, et à moyen et long-terme, des politiques monétaires ultra-accommodantes des Banques centrales, ou encore de certaines tentatives de relocalisations stratégiques, pourrait très bien devenir une réalité à surveiller de près. Toutes ces interrogations liées à l’explosion de la dette devraient également nous conduire à nous pencher, inlassablement, sur le financement de la protection sociale, et donc, sur la pérennité du financement de notre système de retraite. Enfin, notre société vieillissante et averse au risque, cinquième point de friction mentionné, devra trouver le moyen d’encourager des flux d’investissements massifs dans des projets risqués et de long terme, dans un environnement encore plus marqué par l’incertitude et la volatilité des marchés, car cela est tout simplement indispensable pour notre économie, et si l’on souhaite préserver un certain niveau d’innovation et de progrès technique pour les générations futures.


Déjà, partout dans le monde, on peut entendre des voix qui s’élèvent pour pointer du doigt ces nouvelles tensions intergénérationnelles : le journal suédois Dagens Industri rappelle que la crise se gère aux dépens de la jeune génération [23] ; Walter Schmid, professeur de travail social à l'Université de Lucerne en Suisse, est convaincu de la nécessité d’un réajustement des systèmes de sécurité sociale pour maintenir une justice intergénérationnelle, la génération des seniors devant lâcher du lest notamment sur le sujet des retraites [24] ; l’économiste irlandais David McWilliams [25] défend l’idée de libérer les plus jeunes du confinement, des jeunes souvent moins bien rémunérés et exposés aux secteurs les plus durement touchés (hôtellerie, restauration, bars), pénalisés alors qu’ils sont largement moins concernés par la dangerosité du virus ; le pasteur danois Preben Brock Jacobsen s’inquiète, quant à lui, que les élans de solidarités intergénérationnelles ne cèdent bientôt leurs places à celles de l’égoïsme [26]. On comprend les raisons qui ont poussées l’Académie de médecine [27] à rappeler que les personnes âgées ne sont en rien des « citoyens de second rang » pour mériter d’être dé-confinés en dernier, et qu’il serait préférable de raisonner par zone géographique plutôt que d’accentuer le clivage intergénérationnel. Un clivage qui nécessitera d’imaginer, d’urgence, de nouvelles formes de solidarité entre les générations.



 

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Notes

[1] FMI, Perspectives de l’économie mondiale : aperçu des projections, Avril 2020.

[2] Estimation de la BCE communiquée le 30 avril 2020.

[3] FMI, Perspectives de l’économie mondiale : aperçu des projections, Avril 2020

[4] Selon le FMI, le PIB mondial avait baissé de 0,6% en 2009.

[5] Note : « OK Boomer » trouve son origine dans une vidéo où l'on voit un homme âgé non identifié déclarer que les « milléniaux et la génération Z sont atteints du syndrome de Peter Pan, ils refusent de grandir et pensent que les idéaux utopiques qui ont bercé leur jeunesse vont d'une manière ou d'une autre se réaliser à l'âge adulte »

[6] Le patrimoine net correspond au patrimoine brut, dont on a déduit les éventuels emprunts privés et/ou professionnels encore en cours.

[7] Source : Insee, enquête Histoire de vie et Patrimoine 2017-2018.

[8] Insee, Les jeunes et le logement - Les difficultés des jeunes à quitter le « nid » et à dérouler leur parcours résidentiel, Philippe Louchart, IAU Ile-de-France ; Éric Chometon et Camille Daval, DRIEA ; Mathieu Anglard et Alice Genty, DRIHL ; Pauline Virot, Apur ; Céline Perrel et Nathalie Couleaud, Insee Ile-de-France, 20 octobre 2016.

[9] Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquête Revenus fiscaux et sociaux 2017.

[10] Rapport annuel du COR, Juin 2019.

[11] McKinsey Global Institute, Poorer than their parents? A new perspective on income inequality July 2016.

[12] Etude Cereq (Centre d'études et de recherches sur les qualification), Des débuts de carrière plus chaotiques pour une génération plus diplômée, n°382, 2019. https://www.cereq.fr/sites/default/files/2019-10/Bref%20382-web_0.pdf

[13] INSEE, Chômage selon le sexe et l'âge, Paru le : 20/02/2020.

[15] Projections du Conseil d’orientation des retraites, juin 2017. https://reforme-retraite.gouv.fr/le-saviez-vous/les-chiffres-cles/article/1-7-actif-cotisant-par-retraite

[16] Note : Le terme a été inventé le 14 avril 2020 par Gita Gopinath, la cheffe économiste du FMI, pour qualifier cette crise de façon similaire à la Grande Dépression des années 1930 et de la Grande Récession des années 2010.

[17] En France, dans son discours du 12 mars 2020, le Président Emmanuel Macron déclare : « La santé n'a pas de prix. Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies. Quoi qu'il en coûte ».

[18] Note : Cette pandémie a fait de 20 à 50 millions de morts selon l'Institut Pasteur, et peut-être jusqu'à 100 millions selon certaines réévaluations récentes, soit 2,5 à 5 % de la population mondiale.

[19] Nancy K Bristow, What the 1918 flu pandemic tells us about whether social distancing works, 29 April 2020.

[20] Pierre-Cyrille Hautcoeur, Directeur d'études à l'EHESS, Ecole d'économie de Paris, La grippe espagnole, un secret trop bien gardé, 4 mars 2020.

[21] Décrite par la philosophe Philippa Foot en 1967, le dilemme du tramway est une expérience de pensée qui se conçoit ainsi sous une forme générale : une personne peut effectuer un geste qui bénéficiera à un groupe de personnes A, mais, ce faisant, nuira à une personne B ; dans ces circonstances, est-il moral pour la personne d'effectuer ce geste ?

[22] Economic downturns, universal health coverage, and cancer mortality in high-income and middle-income countries, 1990–2010: a longitudinal analysis, DOI:https://doi.org/10.1016/S0140-6736(16)00577-8




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